Inconnu
Proverbe chinois.
Alexandre DUMAS
J. L. FOURNIER (Mon dernier cheveu noir)
Xavier de Maistre
Laure CONAN
?
Une robe de femme, doit être comme une plaidoirie : assez longue pour couvrir le sujet, assez courte pour être suivie.
(Anonyme)Certains hommes n'ont que ce qu'ils méritent; les autres sont célibataires.
Charles Baudelaire
Pierre DAC
Emily DICKINSON
Albert MEMMI
"Une Question est stupide tant qu'elle n'est pas posée"
Proverbe chinois...EDITORIAL 2
Les photos de l'ESTARTIT OCT 2025 sont ICI en bas de la page...
CARROUSEL SUR LA MER
Précédemment : Plus bas, près de la maison de Gonzalvès, Noémi étendait son linge, et beaucoup plus loin, plus bas encore, ils voyaient le port des Madragues, les filets bruns posés à même le sol, les ancres d'un noir luisant, et les madraguiers pareils à des jouets infimes, qui se mouvaient avec lenteur sur l'esplanade couleur de sable.
Ils reconnurent, près du Jean-Antoine, les silhouettes de Pequelme et de Marchai. Ils cherchèrent en vain celle de Gonzalvès.
— Du moment que tu vois Pequelme et Marchai, fit Léonard, tu ne verras pas Gonzalvès. On dirait qu'il nous fuit tous. Tu peux être sûr qu'il est resté seul à l'usine.
— Toujours aussi sauvage ?
— Disons plutôt que, de plus en plus, il tire de son côté.
Et c'était vrai.
Depuis le retour de Villa Real il s'écartait d'eux tous, il se dissociait de leur groupe, dans la mesure où son travail aux Madragues le lui permettait. Si les autres allaient au port, il restait à l'usine.
S'ils y revenaient il s'arrangeait pour aller au port à son tour. Jamais plus maintenant on ne le voyait au café Bellevue, où l'état-major se réunissait chaque soir pour bavarder et commenter la journée. Toutes se ressemblaient d'ailleurs, et le commentaire en était vite fait. Chacune d'entre elles voyait s'avancer les préparatifs et s'approcher le jour du départ. Les ancres furent prêtes, puis les filets, puis les barcasses. Cordier venait de temps en temps promener son corps affaibli au milieu de ses hommes, appuyé sur sa canne et suivi dévotieusement de son chauffeur marocain et de Marchai. Mais ses visites ne duraient guère. Il jetait un coup d'œil sur les préparatifs, s'entretenait un instant avec Pequelme ou Marchai, puis repartait sur Port-Lyautey. Enfin, tout fut prêt. Les chalutiers partirent les premiers, traînant derrière eux les barcasses rases sur l'eau et démâtées. Les ancres furent empilées sur la plage avant du Jean-Antoine, les câbles qui devaient soutenir le filet dans les cales, et les hommes, une fois de plus, entassés dans l'entrepont. Et ce fut le départ. Le vrai. Celui qui marquait le début de la campagne de pêche. Une centaine de personnes s'était massée sur le quai, devant le petit port maintenant déserté par ses chalutiers. Cordier était là, plus pâle et plus maigre, et Le Barp aussi, et des amis, et des curieux. Lentement, comme à regret, le Jean-Antoine s'éloigna du quai et descendit vers l'embouchure du fleuve. A dix heures, le soir, ils se trouvaient sur les lieux de pêche : ceux qu'avait choisis Gonzalvès. Les chalutiers étaient là, balancés par une houle légère au-dessus de leurs ancres, masses sombres sur le fond noir de la nuit, balisés par leurs feux de position. La lueur rouge du soleil levant était à peine visible derrière le promontoire de Sidi >il que déjà les madraguiers étaient debout, impatients d'installer le filet. Il fallait, si le temps se maintenait au beau, huit à dix jours pour le mettre en place. D'abord les ancres, puis, accrochés aux ancres, tendus et maintenus à la surface par des flotteurs de liège, les câbles de soutien des filets. Ceux du bras de terre et du bras de mer d'abord, qui formaient les ailes de cette nasse gigantesque, puis les câbles de soutien des couloirs menant à la poche terminale, enfin ceux de la poche elle-même, de la chambre de mort, du « copo ». Les madraguiers se mirent au travail. Ils se sentaient plus à l'aise sur la mer que sur la terre ferme. On voyait les chaloupes bleues et blanches du Jean-Antoine aller et venir sans arrêt sur l'immense nappe liquide, immergeant ici une ancre, dans un concert de vociférations joyeuses, déroulant plus loin un câble bruni par le goudron et muni de grosses plaques de liège, comme un chapelet de ses grains. Au bout de six jours tout était terminé. L'Orque et la Murène partirent pour Mehdia et revinrent avec le filet. Il ne fallut que deux autres jours pour accrocher celui-ci aux câbles de soutien. Le piège était prêt. Les deux bras de la nasse bien tendus, l'un vers la terre, l'autre vers le large, chacun sur près d'un kilomètre, la chambre de mort reposant sur le sable par vingt brasses de fond, ses côtés soutenus par les deux files de barcasses. A l'entrée de la chambre de mort on ancra une espèce de ponton, ras sur l'eau, pourvu d'une cuisine en plein vent et de deux cabines. Six hommes y prirent place. Ils resteraient là jusqu'à la fin de la campagne, guettant sans arrêt, jour et nuit, l'arrivée dans le « copo » des troupeaux de thon, et faisant descendre derrière ceux-ci l'ultime filet qui les retiendrait prisonniers. Quand les madraguiers revinrent sur le jean-Antoine, le soleil, à l'ouest, embrasait l'horizon. Il n'y avait plus sur la mer de cris, de chants ou de bruits d'avirons. Le calme de la nuit s'abattit sur la flottille. Il ne restait plus qu'à attendre.
Extrait du livre de Jacques FREZIGNAC "Carrousel sur la mer". et merci à Michèle PONCE pour m'avoir offert ce livre.
Vous pouvez réagir ICI
Les photos de l'ESTARTIT OCT 2025 sont ICI en bas de la page...
CARROUSEL SUR LA MER
Précédemment : Plus bas, près de la maison de Gonzalvès, Noémi étendait son linge, et beaucoup plus loin, plus bas encore, ils voyaient le port des Madragues, les filets bruns posés à même le sol, les ancres d'un noir luisant, et les madraguiers pareils à des jouets infimes, qui se mouvaient avec lenteur sur l'esplanade couleur de sable.
Ils reconnurent, près du Jean-Antoine, les silhouettes de Pequelme et de Marchai. Ils cherchèrent en vain celle de Gonzalvès.
— Du moment que tu vois Pequelme et Marchai, fit Léonard, tu ne verras pas Gonzalvès. On dirait qu'il nous fuit tous. Tu peux être sûr qu'il est resté seul à l'usine.
— Toujours aussi sauvage ?
— Disons plutôt que, de plus en plus, il tire de son côté.
Et c'était vrai.
Depuis le retour de Villa Real il s'écartait d'eux tous, il se dissociait de leur groupe, dans la mesure où son travail aux Madragues le lui permettait. Si les autres allaient au port, il restait à l'usine.
S'ils y revenaient il s'arrangeait pour aller au port à son tour. Jamais plus maintenant on ne le voyait au café Bellevue, où l'état-major se réunissait chaque soir pour bavarder et commenter la journée. Toutes se ressemblaient d'ailleurs, et le commentaire en était vite fait. Chacune d'entre elles voyait s'avancer les préparatifs et s'approcher le jour du départ. Les ancres furent prêtes, puis les filets, puis les barcasses. Cordier venait de temps en temps promener son corps affaibli au milieu de ses hommes, appuyé sur sa canne et suivi dévotieusement de son chauffeur marocain et de Marchai. Mais ses visites ne duraient guère. Il jetait un coup d'œil sur les préparatifs, s'entretenait un instant avec Pequelme ou Marchai, puis repartait sur Port-Lyautey. Enfin, tout fut prêt. Les chalutiers partirent les premiers, traînant derrière eux les barcasses rases sur l'eau et démâtées. Les ancres furent empilées sur la plage avant du Jean-Antoine, les câbles qui devaient soutenir le filet dans les cales, et les hommes, une fois de plus, entassés dans l'entrepont. Et ce fut le départ. Le vrai. Celui qui marquait le début de la campagne de pêche. Une centaine de personnes s'était massée sur le quai, devant le petit port maintenant déserté par ses chalutiers. Cordier était là, plus pâle et plus maigre, et Le Barp aussi, et des amis, et des curieux. Lentement, comme à regret, le Jean-Antoine s'éloigna du quai et descendit vers l'embouchure du fleuve. A dix heures, le soir, ils se trouvaient sur les lieux de pêche : ceux qu'avait choisis Gonzalvès. Les chalutiers étaient là, balancés par une houle légère au-dessus de leurs ancres, masses sombres sur le fond noir de la nuit, balisés par leurs feux de position. La lueur rouge du soleil levant était à peine visible derrière le promontoire de Sidi >il que déjà les madraguiers étaient debout, impatients d'installer le filet. Il fallait, si le temps se maintenait au beau, huit à dix jours pour le mettre en place. D'abord les ancres, puis, accrochés aux ancres, tendus et maintenus à la surface par des flotteurs de liège, les câbles de soutien des filets. Ceux du bras de terre et du bras de mer d'abord, qui formaient les ailes de cette nasse gigantesque, puis les câbles de soutien des couloirs menant à la poche terminale, enfin ceux de la poche elle-même, de la chambre de mort, du « copo ». Les madraguiers se mirent au travail. Ils se sentaient plus à l'aise sur la mer que sur la terre ferme. On voyait les chaloupes bleues et blanches du Jean-Antoine aller et venir sans arrêt sur l'immense nappe liquide, immergeant ici une ancre, dans un concert de vociférations joyeuses, déroulant plus loin un câble bruni par le goudron et muni de grosses plaques de liège, comme un chapelet de ses grains. Au bout de six jours tout était terminé. L'Orque et la Murène partirent pour Mehdia et revinrent avec le filet. Il ne fallut que deux autres jours pour accrocher celui-ci aux câbles de soutien. Le piège était prêt. Les deux bras de la nasse bien tendus, l'un vers la terre, l'autre vers le large, chacun sur près d'un kilomètre, la chambre de mort reposant sur le sable par vingt brasses de fond, ses côtés soutenus par les deux files de barcasses. A l'entrée de la chambre de mort on ancra une espèce de ponton, ras sur l'eau, pourvu d'une cuisine en plein vent et de deux cabines. Six hommes y prirent place. Ils resteraient là jusqu'à la fin de la campagne, guettant sans arrêt, jour et nuit, l'arrivée dans le « copo » des troupeaux de thon, et faisant descendre derrière ceux-ci l'ultime filet qui les retiendrait prisonniers. Quand les madraguiers revinrent sur le jean-Antoine, le soleil, à l'ouest, embrasait l'horizon. Il n'y avait plus sur la mer de cris, de chants ou de bruits d'avirons. Le calme de la nuit s'abattit sur la flottille. Il ne restait plus qu'à attendre.
Extrait du livre de Jacques FREZIGNAC "Carrousel sur la mer". et merci à Michèle PONCE pour m'avoir offert ce livre.
Vous pouvez réagir ICI
